· 

Mes papillons aux ailes froissées

Atelier rythme et chant du vendredi matin.

 

1h30 par semaine, c'est le temps que je consacre à mes papillons aux ailes froissées. Je vois qu'elles se sont défroissées, parfois, lorsque je m'en vais.

 

Le vendredi matin, quand j'arrive, ils sont à la fois moroses et accueillants. Sur les visages, comme une giboulée de mars, alternent triste-pluie et sourire-soleil. Il y a parfois quelques minutes consacrées à exprimer ce qui ne va pas. Cela peut prendre la forme d'une simple réticence quand les mots ne sont pas là. Les premiers gestes d'éveil corporels empruntés au chi-kong sont pratiqués sans enthousiasme, mais je fais le clown et les premiers rires sonnent comme le signal que mon message est désormais prêt à être reçu.

 

Heureusement, les trois ou quatre premières séances, notre temps d'apprivoisement, ont pu se faire sans masque. Ensuite, on s'y est tous faits. On râle (« on respire pas bien » « on voit plus ton sourire » « Y en a marre du Covid »), on chante un peu moins, et on fait un peu plus de rythmes avec les woodblocks, tambourins et maracas et en percussions corporelles, plus de danse et de séances d'écoute.

 

La pratique musicale monopolise alors l'attention de mes stagiaires du foyer d'accueil polyvalent pour adolescents et adultes en situation de handicap mental et psychique, autistes, trisomiques, troubles du comportement...etc...

 

Je n'identifie pas les personnes par leur diagnostic, qui ne m'a pas été communiqué. Normal, je ne suis pas personnel de santé. Je rencontre des êtres qui n'ont pas tressé leurs liens à l'Autre selon les codes établis, pour des raisons qui ne me regardent pas. C'est intime, et j'ai à cœur de ne pas m'approcher de ce territoire : c'est la clé de la confiance.

 

L'être profond de chacun doit entrer en contact avec la musique, son écoute, sa compréhension, sa pratique. J'appelle l'être profond ce qui en eux et moi se ressemble, fonctionne pareil, la part "d'avant l'acquisition des codes". Avant de trouver ce terme, je disais : l'âme. Entre cette zone et nous, il y a nos façons mutuelles d'incarner la vie : c'est la zone interdite, l'intime de chacun. Avec la musique comme langage, le rythme, le son, avec la voix sans le verbe (donc sans l'histoire), juste les onomatopées, nous jetons un pont au dessus de ces constructions si différentes de nos psychés : nous sommes sur un terrain d'entente potentiel.

 

Plus je découvre l'établissement et ses protagonistes,

ceux qui y vivent et ceux qui y travaillent à plein temps,

plus mon respect pour tous est grand.

 

 

Mon postulat pédagogique:

 

Je viens transmettre des connaissances musicales par la pratique directe, la transmission orale, pour donner des outils pour donner du sens au ressenti, pour goûter et nommer le goût auditif, pour affiner les « papilles » mélomanes,- c'est l'écoute-, et des outils pratiques pour interagir, converser musicalement , - c'est le vocabulaire de l'improvisation et quelques possibilités d'articuler ce vocabulaire-.

 

Mon outil principal est l'écoute.

  • Mon écoute de tous les signaux envoyés par les participants pour ajuster en permanence et instantanément mon propos : repérer la fatigue, passer chaque fois que nécessaire et rapidement de la transmission de connaissance et de cadrage, au jeu d'application ou de pur lâchage d'énergie spontané, en passant par une blagounette.

  • L'écoute des participants, amenés à la conscientiser, à la valoriser, à l'utiliser pour interagir avec l'Autre, dialoguer, converser avec les sons. Une composante importante est la valorisation de la valeur musicale « silence » où l'écoute active, habitée, chargée de sens, vient supplanter l'attente passive d'être sollicité.

La nécessité d'adapter mon mode opératoire pédagogique : la mémoire indomptée

 

Leur mémoire existe, elle se manifeste, souveraine, si elle le décide, et mais ne répond pas à ma sollicitation. J'ignore s'il s'agit d'une impossibilité ou d'une protection, et que je le sache ne changerait rien, je dois m'accommoder de ce constat.

( à suivre...)